Perché dans le ciel de Collioure, le Fort Saint Elme révèle la beauté du paysage catalan.
L'aventure contemporaine du Fort Saint Elme débute il y a tout juste cent ans. Au mois d'août 1913, l'ancienne bâtisse militaire qui domine la baie de Collioure tape dans l’œil de Pablo Picasso, qui veut faire l'acquisition de ce fort, tout juste démilitarisé par l’État, pour y installer son atelier.
L'allure géométrique de la bâtisse, née d'une tour cylindrique et d'un donjon en étoile, fait écho aux architectures des toiles cubistes. Versant nord, le fort donne sur une vue panoramique de la côte catalane, alors que le versant sud ouvre sur la Marenda, de terrasses de vignes en terrasses de vignes.
Cependant, l'annonce de l'achat de cette bâtisse historique par un artiste bohème et espagnol, défraie la chronique. Sacrilège ! Le peintre se voit mis en concurrence avec le Mounet, gloire du théâtre et sociétaire de la Comédie française. La bataille de camps prend fin lors de l'ouverture des enchères par les domaines.
Ni le peintre, ni l'acteur ne remportent la vente. C'est le docteur Ney qui s'impose et devient le nouveau propriétaire du fort. En 1927, le fort change de main.
Il est racheté par Fernand Ducatte, industriel bourguignon, développeur de l'ampoule, initiateur du sous-vide et créateur de la trousse individuelle de survie. Il lance le chantier de restauration de la bâtisse, plutôt nécessaires.
La "torre de guardia", tour de signal originelle s'était vu transformée en fortin d'abord par le roi catalan Pere III puis, en 1552, agrémentée de fortification par l'empereur Charles Quint. Lors de la Révolution, les troupes du général Dugommier comptent récupérer le fort aux hommes de Don Amoros.
En 1794, le fort ne se rendra qu'après un long siège et un bombardement de 11.000 boulets. Dans les années 30, Fernand Ducatte confie la première mission de restauration à Léon Azéma, amoureux de l'art roman, qui tente de redonner l'esprit sobre voulu par les premiers architectes génois. Il rythme la bâtisse de puits de lumière et la dote d'une vaste salle de billard et d'antennes radio, pour que le maître des lieux puisse rester en contact avec ses usines réparties sur l'ensemble du territoire français.
De 1927 à 1937, près de 250 ouvriers se relayent, pour offrir une nouvelle jeunesse au Fort Saint Elme. Toutefois, la mort accidentelle de Fernand Ducatte signe le coup d'arrêt du chantier. Le fort ne va pas tarder à être remilitarisé, lors de la seconde guerre mondiale et l'occupation de la zone Libre par les nazis, le fort Saint Elme est transformé en tour de radiodiffusion par les troupes de la Kriegsmarine fin 1942. La Croix Gammée flotte sur le fortin Catalan, devenu zone interdite jusqu'au mois d'août 1944.
La Libération ouvre une nouvelle ère pour le pays Catalan, mais suite au départ des soldats allemands, le fort est livré à lui-même et pillé. Il sert de carrière de pierre puis de bergerie. La famille Ducatte mettra près de cinq ans avant de revenir sur les lieux. Au début des années 50, on exécute quelques travaux d'urgence puis le fort sdera laissé en l'état jusque 2003.
Jean-Claude Ducatte, le petit neveu, souhaite ouvrir le site au grand public. Il avance qu'après l'ajout de 70 tonnes de terre et de milliers de pierres, le remontage de kilomètres de murs et la réalisation d'un sol fait de 250 tonnes de gravier, il a fallu passer des centaines d'heures à genou pour mener à bien la finalisation d'un nettoyage correct, forme de pénitence qu'il s'est infligée. Jean-Claude Ducatte a peu à peu aménagé toutes les salles.
Depuis 2008, des panneaux détaillant l'évolution architecturale du site permettent au public de connaître l'histoire du fort Saint Elme. La visite de cette bâtisse aux couloirs étroits et aux salles ramassées avec quelques fines meurtrières, donne l'impression de déambuler dans les coursives d'un sous-marin.
En surface, sur la place d'armes du fort, le paysage révèle au visiteur une sensation extrême en survolant toute la côte catalane et l'ensemble de la plaine du Roussillon. En contrebas de Saint Elme, le port de Collioure avec son fameux clocher-phare se dresse sur les flots de la grande bleue.
Jean-Claude Ducatte a réouvert aux yeux du monde, s'il en était encore besoin, la beauté du paysage catalan.